CBD : l’État restreint la culture locale de cannabis

Les boutiques CBD connaissent un grand succès en France : leur nombre va quadrupler en 2021. Mais la plupart des produits vendus viennent de l’étranger. Le secteur national pourrait se développer si le gouvernement ne l’entravait pas.

Après avoir poussé la porte vert fluo du petit magasin, on s’en aperçoit immédiatement. Exposées dans d’imposants contenants de verre, les fleurs de chanvre trônent au fond de la pièce. A leur droite, plusieurs flacons d’huiles et de cosmétiques étaient alignés sur les étagères.

Dans ce magasin du 18e arrondissement de Paris, tous les produits sont fabriqués à partir de cannabis — le nom botanique du chanvre — riche en cannabidiol (CBD). Cette molécule est l’un des nombreux cannabinoïdes qui composent la plante. Contrairement au plus célèbre, le THC (tétrahydrocannabinol), le CBD ne provoque pas d’effet narcotique. Au contraire, des études lui attribuent des propriétés apaisantes et anti-inflammatoires pour certains maux – bien que la littérature scientifique soit encore mince sur le sujet.

« Nos produits viennent majoritairement d’Italie et de Suisse », précise Baptiste, le vendeur. Nous coopérons également avec des producteurs portugais et autrichiens. En revanche, il n’y a aucun signe de fleurs de CBD cultivées en France. « Dans les boutiques françaises, 99% des fleurs viennent d’Italie et de Suisse », confirme Antoine Roux, porte-parole du syndicat professionnel du chanvre.

Une découverte qui peut surprendre quand on sait que la France est le premier producteur européen de chanvre industriel (pour la construction, l’isolation, le textile, etc.) – par opposition au chanvre « récréatif ». Le gouvernement mène une bataille judiciaire contre ces derniers depuis plusieurs années.

Une bataille en plusieurs actes

Le décret du 22 août 1990, modifié en 2004, a autorisé pour la première fois en France la « culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale » des fibres et graines de variétés de cannabis, à condition qu’elles contiennent moins de 0,2 % de THC. La réglementation européenne autorise l’utilisation de la plante entière (fibres, graines, feuilles et fleurs).

Au début des années 2010, profitant de cette ambiguïté juridique, plusieurs « CBD shops » ont afflué en France, proposant à leurs clients des fleurs de chanvre brut (pas seulement des fibres et des graines) et des produits obtenus à partir de ces fleurs (huiles, graisses, etc.). Le gouvernement a tenté de fermer ces magasins, mais en novembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les interdictions étaient illégales [1]. La commercialisation pouvait donc continuer, mais la production de fleurs brutes sur le sol français restait interdite.

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Jusqu’en 2021. Le 30 décembre, le gouvernement surprend en publiant un arrêté qui autorise la culture de fleurs et feuilles de chanvre en France avec une teneur en THC inférieure à 0,3%… mais interdit leur vente en tant que telle. « Les fleurs et les feuilles […] peuvent être récoltées, importées ou utilisées uniquement pour la production industrielle d’extraits de chanvre », précise l’ordonnance. En d’autres termes, seuls les produits dérivés des fleurs (huiles ou cosmétiques, par exemple) sont autorisés à être commercialisés.

« Cette décision était incompréhensible pour nous : 70% de notre chiffre d’affaires dépend de la vente de fleurs brutes, qui sont fumées ou infusées », se souvient Baptiste, vendeur dans un magasin parisien. Le gouvernement a justifié son choix en invoquant des arguments sanitaires (risques cancérigènes liés au fait de fumer des fleurs de CBD, incertitude sur les effets du cannabidiol, etc.) et « d’ordre public » : il serait trop difficile pour les forces de l’ordre de distinguer les fleurs de chanvre. qui contiennent du CBD que celles, illégales, qui contiennent du THC.

Des commerçants mécontents du secteur ont saisi en urgence le Conseil d’État, qui leur a donné raison : le 24 janvier 2022, le plus haut tribunal administratif français a suspendu « provisoirement » l’interdiction de vente de fleurs. Le décret devra maintenant être évalué au fond par le Conseil d’Etat, dans les prochains mois.

600 nouveaux producteurs de CBD en 2021

Une décision très attendue, car de plus en plus d’agriculteurs français veulent s’essayer à cette production. En 2021, 600 cultivateurs de cannabis ont commencé à parier sur l’autorisation de la culture de fleurs riches en CBD. « C’est énorme, vu les 1.400 producteurs de chanvre industriel en France d’ici là », commente Antoine Roux, du syndicat professionnel du chanvre.

Ces nouveaux producteurs se retrouvent très démunis. « Tant que le Conseil d’Etat ne se prononcera pas sur le fond, le secteur et les investissements ne pourront pas vraiment se développer », soupire Antoine Roux. Certains devront abandonner leur projet. D’autres ont trouvé des astuces à la limite de l’absurde, pour ne pas risquer d’enfreindre la loi. « Dans notre marque, nous proposons des fleurs françaises. Nous allons exporter les fleurs en Italie, les emballer là-bas, puis elles nous seront retournées », explique Antoine Roux.

Au total, sans chaîne de production structurée, la plupart des magasins en France devront continuer à s’approvisionner à l’étranger. Leur succès ne se tarit pas : début 2021, le syndicat professionnel du chanvre recensait 400 boutiques CBD en France. Un an plus tard, ils sont 1 800, presque cinq fois plus.

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« De nombreux clients arrêtent de fumer ou réduisent leur consommation de drogue à cause de cela »

Comment expliquer ce succès ? « Le CBD est le moyen de vaincre la dépendance au THC », déclare Baptiste, le vendeur. En conséquence, de nombreux clients ont arrêté ou réduit leur consommation de drogue. « Les fleurs de CBD étaient un substitut au joint quand j’allais à des soirées », confirme Maxence, 26 ans, consommateur de cannabidiol depuis un an et demi. Cela m’a aidé à arrêter de consommer du crack et de fumer du THC. Interdire le CBD signifie supprimer cette alternative. »

Yohan, vendeur dans le 18ème arrondissement de Paris, revendique une foule d’autres effets bénéfiques. « J’ai eu des clients désespérés qui ont arrêté leurs antidépresseurs et leurs anxiolytiques et qui ne savaient pas vers qui se tourner », dit-il.

Justine, 40 ans et utilisatrice depuis trois ans, affirme que les fleurs de CBD l’ont aidée à lutter contre les crises d’anxiété, l’insomnie, la phobie sociale et les sautes d’humeur. « Les gens autour de moi ont remarqué que mon humeur s’est stabilisée, que je suis plus calme de jour en jour », poursuit-il. Elle ne comprend donc pas l’inexorabilité du gouvernement français à empêcher le développement de cette culture. « Est-ce par méconnaissance du sujet ou par pression des groupes pharmaceutiques, frustrés qu’une simple fleur aux effets positifs puisse être vendue sans passer par eux ? se demande-t-elle.

« On pourrait avoir un marché vraiment en plein essor »

« La demande des clients est là, je ne vois pas pourquoi elle n’est pas prise en compte », se plaint Nicolas [*], 30 ans. Ce consommateur de CBD vit depuis deux ans en Suisse, pays où le cannabidiol s’est complètement démocratisé. « Economiquement, il y aurait un réel intérêt à ce que la même chose se produise en France », poursuit-il. On pourrait avoir un vrai marché en plein essor, plein de petits producteurs, créant de très beaux produits locaux. »

Le gouvernement est têtu, mais ce n’est pas le cas de tous les candidats à la présidentielle. Yannick Jadot (Europe Écologie-Les Verts) a exprimé publiquement son soutien au CBD, et Jean-Luc Mélenchon, sans se prononcer sur le cannabidiol, a confirmé qu’il était favorable à la légalisation du cannabis. Quel que soit le nouveau locataire de la salle Elysée en avril, les commerçants en restent persuadés : « L’Union européenne aura le dernier mot. »

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