30 avril 2001. D’abord vous êtes captivé par l’apparence. Les yeux bruns de la petite fille, interrogateurs, accusateurs, droit dans l’objectif, droit dans le ventre. Beaucoup de vêtements autour d’elle, trop de chadri de sa mère. On ne voit pas ses yeux. Parce qu’elle est afghane, elle est voilée, c’est ce que veut mettre en cause cette inoubliable couverture du magazine Elle. Reportage unique dans son histoire et dans l’histoire de la presse féminine en général. succès. Alors que le monde entier s’indigne de la destruction des bouddhas Okra par les talibans, elle s’indigne du sort des femmes et des enfants soumis au régime des islamistes radicaux, dont le quotidien est régi par des interdits. Dans un éditorial alimenté par la colère, les patrons décident du titre « Martyrs des femmes afghanes, refusez l’indifférence ». Quelques pages plus loin on retrouve les traditionnelles pages mode et beauté. Pas de contradiction entre les deux, la gamme d’objets est complètement reprise. Preuve que même un magazine féminin peut… démaquiller la réalité.
Pour celle qui a tenu les rênes de ce magazine pendant dix ans, cette couverture est celle dont elle est « la plus fière ». « Le monde a été choqué par la perte de cet héritage. Et pas des femmes emprisonnées depuis des années. Il fallait agir ! » Un engagement inscrit dans l’ADN d’Ella, comme un devoir.
Confiance en soi, mode et beauté
Comment est née cette alliance entre affirmation politique et sites de mode ? De sa naissance au XVIIe siècle au XIXe siècle, la presse féminine en Europe a véhiculé une vision de la féminité maternelle sans érotisme. Il parle de morale sexuelle, d’éducation, de littérature, et en même temps définit les devoirs des femmes et leur donne des conseils sur la façon de vivre selon la volonté des hommes. La désacralisation du rôle de l’épouse a commencé timidement au XXe siècle. Peu à peu, sa liberté, ses droits et sa sexualité, ainsi que le sens de sa beauté, sont remis en cause.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, elle sensibilise d’abord les lectrices à l’hygiène : « Une Française est-elle propre ? », demande Françoise Giroud, alors directrice du magazine, en 1951, avant de répondre : « Les résultats de notre enquête sont suffisamment alarmants pour nous faire inquiétude. » Les produits de beauté quittent les laboratoires et entrent dans les salles de bain. Le mouvement s’accompagne de magazines féminins qui, dans un premier temps, initient les femmes à l’art de plaire. Mais surtout, amusez-vous. Une presse dont le but était aussi « d’éduquer, d’aimer la culture, de savoir quels sont les bons sujets de conversation en société », comme nous le raconte Renata Libal, rédactrice en chef de encore!, ancienne patronne de Femina et Edelweiss. :
La journaliste appuie : « Dans les années d’après-guerre, la presse féminine a joué un rôle fondamental dans la prise de confiance en soi. Il reflétait une vision hédoniste du féminisme, l’importance de se sentir bien dans sa peau – ce qui signifiait être habillé ou coiffé de la bonne façon au bon moment – pour se donner l’impulsion nécessaire pour déplacer des montagnes. Montrez que tout est possible. En retour, les industries de la mode et des cosmétiques faisaient de la publicité dans les magazines, qui étaient donc toujours très rentables. »
Aujourd’hui, la rubrique mode occupe une place prépondérante dans les magazines. Dans ce domaine, ils ont sorti la mode des podiums de luxe pour la démocratiser, déclenchant la révolution du prêt-à-porter. Surtout, la presse féminine glisse vers plus de liberté face aux interdits uniformes du passé. « Au XXIe siècle, tout coexiste », écrivent Marie-Françoise Colombani et Michèle Fitoussi dans leur livre Elle, une histoire de femmes : « Tout est mixte, naturel et sophistiqué, musculation et gymnastique douce, chirurgie esthétique et phytothérapie. crèmes à base, anti-rides et botox, régimes à la mode et glorification des rondeurs, belles gélules et maquillage. Moins de perfection, moins de mesure, place à l’erreur, surtout si c’est assumé et exigé. La personnalité gagne.
Droit à la multiplicité
Mais sans angélisme. Bien sûr, c’était aussi une presse féminine : la construction d’un idéal féminin inaccessible, des interdits paralysants, l’affirmation d’une norme qui punit la majorité… Mais son ADN tient aussi à l’indignation face à l’injustice et à la violence. fait pour les femmes. La lutte contre le viol, le harcèlement sexuel et moral, la pédophilie, l’inceste, punir les prostituées, autant de défenseurs.
Il se souvient de la visite de Christine Ockrent aux rédacteurs du numéro spécial : « Elle disait que les hommes sont dans l’être et les femmes dans l’action. J’en suis certaine. » En 1977, l’ancienne ministre Françoise Giroud ne dit rien d’autre. A la question : « Le pouvoir est-il une comédie parce que c’est une affaire d’hommes ? », elle répond : « Dans tout pouvoir, il y a une part de comédie inhérente et peut-être nécessaire. Mais d’après ce que j’ai pu observer, les femmes sont moins trompées par les accessoires d’honneur, elles sont plus attachées au « faire » et sont gênées par le fait qu’on fait peu.
Un rôle émancipateur
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les médias sont restés un environnement hostile pour les femmes. Au mieux, elles sont indépendantes ou impliquées dans des sujets qu’elles trouvent féminins comme la culture et le divertissement. « Les femmes n’avaient l’opportunité de travailler que dans la presse féminine », se souvient Laura Adler dans son livre consacré à Françoise Giroud. Ici, une femme est entrée dans l’histoire : Hélène Gordon-Lazareff, fondatrice de Elle. Avec son magazine, qui deviendra une référence en Europe, il « affirme le sérieux dans la frivolité, l’ironie dans le sérieux ». « C’était une figure extraordinaire qui valorisait les femmes et leur permettait de s’émanciper, d’arrêter de voter comme leurs maris », raconte Marie-Françoise Colombani. En 1946, Françoise Giroud publie un appel dans ce sens : « Madame, ne restez pas chez vous, votre avenir et celui de vos proches en dépend. »
Alors les causes importantes commencent à s’éclairer. Marie-Françoise Colombani se souvient : « Elle a été l’instigatrice du vote de la loi contre le port du voile à l’école. À l’époque, on a fait un très grand sondage pour savoir ce qu’en pensaient les femmes. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’autoriser le voile dans les classes inférieures signifie donner la parole uniquement aux parents, mais pas aux jeunes mineurs concernés. Nous sommes allés transmettre ces conclusions à Jacques Chirac. Le voile, comme tous les signes de religion, est interdit aux mineurs.
Dans cette presse, et c’est sa force, l’éveil passe souvent par le témoignage. En 1961, une jeune femme raconte dans Elle avoir vécu « des naissances trop rapprochées, l’empêchant d’atteindre les conditions d’un plein épanouissement. J’ai 32 ans, désespérée, j’attends mon sixième enfant. (…) Quand j’ai appris que j’étais enceinte pour la cinquième fois, mon cœur s’est emballé. Puis j’ai réussi à reprendre confiance. (…) Et maintenant tout recommence.
L’ancienne rédactrice en chef sait que ce qui est écrit dans les rubriques d’un magazine féminin n’y reste pas enfermé. Il cite plusieurs éditoriaux dont on a parlé, dont un qui a provoqué la colère des syndicats de radiologues. Ceux qui effectuent des mammographies se sont mis en grève. Marie-Françoise Colombani a osé demander : « Est-ce qu’on ferait grève s’il y avait un équivalent à la mammographie pour les testicules ? »
Part psychologique et intime
Un autre registre sera créé par les magazines féminins, puis copié partout : une rubrique dédiée à la psychologie et à l’intimité. La presse féminine n’hésite pas à regarder par le trou de la serrure. « Elle a été la première à parler d’éducation, de relations, de comportement. « Elle n’a pas installé et démoli des présidents, mais elle a fait et démoli des révolutions dans les chambres à coucher », se souvient Renata Libal. Luxure, amour, orgasme, frigidité, adultère, autant de thèmes explorés. Les lectrices aiment la fellation, le cunnilingus, la sodomie ? Qu’est-ce qui est moral ou immoral ? Les pages suivent la révolution sexuelle.
Ils le font avec de nouveaux outils que d’autres médias utiliseront également : messages d’humeur, humour. Renata Libal confirme : « C’était une presse créative, joyeuse et positive qui voulait égayer la journée de ses lecteurs. Il a créé des genres narratifs qui ont été repris par d’autres médias, en ce sens il était avant-gardiste. La presse économique, comme Le Capital, a détourné, si je puis dire, les genres développés par la presse féminine en les adaptant à son propre univers.
Avec le temps, l’humour et l’impertinence vont parfois jusqu’à provoquer une vague de désabonnements. En 1984, elle fait scandale avec ce titre : « Lover, ciment couple ? » Dix ans plus tard, le magazine le répète avec « Demain je prends un amant ». En 2012, le magazine va plus loin : « Cev, ciment para ». Autant dire qu’on est loin du conseil de Mme Goin aux lecteurs du magazine dans les années d’après-guerre : « Quand votre mari rentre à la maison, préparez toujours le dîner avec des plats qu’il aime… même s’il n’aime pas. t semble les aimer. Soyez toujours présent, jamais une ombre pesante. (…) Donnez-lui un intérieur attrayant et surtout rangé.
En 1993, Elle est clairement dans un autre registre et lance un sondage : « Es-tu une pute ? » La morale se développe, la parole se libère et le vocabulaire s’enrichit : clitoris ou vagin ? Sado, masochisme, échangisme… Les pratiques sexuelles sont sans cesse décortiquées.
Silvia Binggeli, rédactrice en chef de Schweizer Illustrierte et ancienne rédactrice en chef du magazine germanophone Annabelle, confirme la nécessité de parler de tout : « Je voulais être une sorte d’amie de confiance, avec qui on peuvent commencer la table, discuter de tout et avancer ensemble.
Les modèles
Une autre fonction importante que la presse féminine a développée tout au long de l’histoire est la promotion des femmes expertes. « Un homme se demande rarement s’il pourra : il pense qu’il le pourra ! La femme à l’autre bout dit : « Est-ce que je pourrai faire ça ? » disait Françoise Giroud en 1977. Silvia Binggeli ajoute : « Encore aujourd’hui, les femmes se demandent ‘Suis-je assez experte ?’ Ai-je quelque chose à dire ?’ Elles ont besoin de modèles. Anne-Marie Philippe, directrice de Elle Suisse, partage avis : « Important j’ai envie de mettre en avant des femmes inspirantes. »
Un niveau qui stagne depuis cinq ans, dans toutes les régions linguistiques du pays et dans tous les types de médias. « La grave sous-représentation des femmes dans les médias suisses est une conséquence des structures sociales existantes et des habitudes des journalistes », a prévenu l’auteur principal de l’étude, avant d’expliquer qu’il est important d’être conscient de l’existence d’experts féminins et d’exhorter à vous de les contacter.
Un regard genré dépassé?
Quoi de neuf aujourd’hui? Au cœur d’une époque de déconstruction du genre, un magazine féminin est-il obsolète ? Obsolète? Je ne sais pas combien de temps le combat pour l’égalité sera encore nécessaire. Le Global Gender Gap Report classe la Suisse parmi les 10 pays les plus équitables dans ce domaine en 2021. Cependant, il précise qu’au rythme où elle progresse, il faudrait plus de 135 ans à notre pays pour atteindre un véritable état d’égalité.
Silvia Binggeli est convaincue que la presse féminine reste pertinente : « Il est intéressant de voir que les magazines pour hommes sont centrés sur la mode, le lifestyle ou encore le sport, mais pas sur les intérêts des hommes dans la société. Tout simplement parce que ce n’est pas nécessaire. Elles n’ont pas de problème d’égalité. » En 2021, Annabelle a mené une enquête auprès de femmes de plus de 16 ans en Suisse alémanique sur les discriminations sexuelles dans le monde professionnel. Près de 71% d’entre elles ont déclaré avoir au moins une fois au cours de leur activité professionnelle vécu une « expérience négative », la plus fréquemment mentionnée étant le harcèlement sexuel au travail.
Christina Bornatici, doctorante en sciences sociales à l’Université de Lausanne, analyse : « Il me semble qu’informer, rendre compte des inégalités de genre serait particulièrement spécifique pour un média qui est aussi un média féministe.
Elle a ajouté : « Je pense qu’il est important d’expliquer à la population que les différences de parcours professionnel et familial des femmes et des hommes, qui entraînent un grand nombre d’inégalités, ne sont pas le résultat de responsabilités individuelles ou de différences de facteurs naturels, mais plutôt des facteurs structurels, y compris le contexte culturel, tels que les normes de garde des enfants. Et institutionnels, comme les politiques familiales. »
De nouveaux thèmes émergent également : les questions de diversité et d’inclusion demandent à juste titre de l’attention. Explosions autour de #MeToo, manifestations féministes qui marquent désormais les agendas, revendications de respect des femmes dans l’espace public, au travail, dans la famille, dans la santé, levée de l’interdiction. En 2021, Femina a sondé ses lectrices sur leur santé. Les réponses ont été instructives : manque d’information ou information trop tardive, désobéissance au corps médical, tendance à réduire la douleur et méfiance envers les professionnels.
Conclusion : Il reste encore du travail à faire en matière de recherche, de formation et de sensibilisation. Preuve supplémentaire que tant qu’il y aura des inégalités, tant qu’il y aura des menaces de bouleversements – comme celui de l’avortement aux Etats-Unis – une pression vigilante sur les conditions de vie des femmes s’impose plus que jamais.
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