« Nous sommes en pleine période d’ascension planétaire, nous assure la jeune femme au téléphone. Il faut que les gens soient capables de s’adapter à ces changements énergétiques. L’éveil de la Kundalini est parfait pour ça. » Derrière ce mélange d’anglais « globe » et d’expressions ésotériques se cache Johanna*, 34 ans, « facilitatrice de kundalini ». Plus qu’une simple monitrice de fitness, elle dit être capable « d’encourager les autres à développer leurs capacités extrasensorielles » et vise à éveiller « l’énergie spirituelle et vitale » lovée à la base de notre colonne vertébrale. La pratique est aussi folklorique qu’« instagrammable » : ses adeptes sont majoritairement vêtus de blanc, avec des turbans sur la tête, et se livrent à des exercices de respiration qui semblent les conduire jusqu’à la syncope.
Selon le formateur, les bienfaits de cette technique prétendument ancestrale sont multiples. « Il réduit le stress, augmente la créativité, la libido et active vos chakras », énumère-t-elle. Kundalini, plus efficace qu’une thérapie ? « Les psychologues ne s’occupent que de l’esprit. Grâce à cette méthode, une personne qui a vécu un traumatisme prend soin de son esprit, mais aussi de son corps », explique-t-elle. La jeune femme explique qu’elle a pu « libérer les souvenirs » des femmes ayant subi des « attouchements ». « La Kundalini libère ses traumatismes. Elle ne revient pas », poursuit-elle. Un médicament miracle, qui pourrait même booster nos capacités « d’auto-guérison ». La réclamation peut faire sourire… ou inquiéter.
Un déplacement de l’offre vers Internet
Bien qu’il puisse paraître anodin, le yoga, connu pour ses postures sophistiquées et ses racines millénaires, n’est pas sans dérives. Loin de là : la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a reçu 160 signalements sur le yoga et la méditation en 2020, des chiffres qui ont doublé par rapport à 2017. Une tendance qui, selon nos informations, s’est confirmée en 2021, en u en accord avec l’engouement récent pour cette activité. Selon une enquête du Syndicat National des Professeurs de Yoga, 10 millions de Français l’ont déjà pratiqué. Environ 7 millions le font plusieurs fois par semaine, dont un quart aurait commencé depuis la crise sanitaire. « Ce succès a ouvert la porte à des formations moins sérieuses. Alors que notre pratique était bien structurée, aujourd’hui le risque zéro n’existe plus », déplore Elodie Garamond, présidente du Syndicat des professionnels du Yoga.
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Cet engouement s’explique surtout par ses bienfaits – réels, comme pour toute activité physique. « Nous avons beaucoup de preuves qu’il réduit l’anxiété et limite les risques cardiovasculaires », confirme le professeur Edzard Ernst, expert dans l’évaluation des médecines alternatives. Mais il semble que ce mouvement compte aujourd’hui autant de chapelles que de maîtres. Yoga du rire, yoga des yeux, yoga dans le noir, yoga à la chandelle, yoga aérien, yoga nu, yoga chaud, sunyoga ou encore yoga pour chiens… les nouveaux venus font preuve d’une imagination débridée. Une tendance qui inquiète les acteurs historiques du secteur : déplacer une partie de l’offre vers Internet. Pas seulement parce qu’elle met à mal l’économie des études traditionnelles : « Sur Internet, on peut trouver le meilleur et le pire. On peut vite tomber sur des pseudo-gourous qui donneront des conseils insolites ou mèneront à des relations malsaines », observe Ysé Tardan-Masquelier, ancien président de la Fédération Nationale des Professeurs de Yoga et coordinateur de l’encyclopédie du yoga (Albin Michel).
« Il prétendait que c’était sa kundalini qui montait »
Le risque de blessure ou de contrôle serait alors mis en évidence. « Le yoga a de multiples facettes, et les personnes qui débutent ne savent pas toujours faire la différence entre un précédent cours de yoga gymnique et des pratiques spirituelles potentiellement plus risquées », note Pascale Duval, porte-parole de l’Union nationale de défense de la famille. et les personnes victimes de sectes, qui reçoivent de nombreux appels liés au yoga. Comme avec cette femme, inquiète pour son amie d’enfance, une vétérinaire passionnée de médecines douces et d’ésotérisme, fascinée par son professeur de yoga qui lui promet d’atteindre le divin et la vérité par des pratiques sexuelles. Ou à propos de cette femme, impuissante devant son mari qui est allé se perfectionner dans un ashram et en est revenu avec une pneumonie sévère : « Il prétendait que sa kundalini montait. Il méditait enfermé dans sa chambre et refusait d’être hospitalisé. »
Bien que ces abus soient minoritaires, le secteur reste vulnérable. « Lorsqu’il est arrivé en Occident, le yoga s’est sécularisé, mais il a conservé une dimension psycho-physique : sa pratique doit affecter notre esprit, note Damien Karbovnik, historien des religions. Les mécanismes religieux restent présents, ce qui en fait un terreau fertile pour les dérives ». . » De nombreux adeptes du yoga y voient aussi un « exercice de l’esprit » autant qu’un « exercice du corps », et les promesses de certains professeurs sont parfois préoccupantes. En Seine-et-Marne, le studio Auriayoga propose ainsi du « yoga hormonal » qui doit permettre de traiter les « bouffées de chaleur », les « insomnies » et la « tendance à la dépression », mais aussi de faire disparaître tous les « kystes ». ovaires ». « Vous ne tomberez pas dans une secte parce que vous pratiquez le yoga, assure Caroline Nizard, docteure en sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne. Mais si la pratique s’adresse à quelqu’un en situation de faiblesse, il y a toujours un risque. »
L’émergence de la conspiritualité
Des personnes malveillantes se sont précipitées pour profiter de la relation privilégiée qui existe entre un yogi – un enseignant – et ses élèves. L’histoire moderne du yoga est pleine de gourous déviants. En 2017, Bikram Choudhury, l’initiateur du très populaire « hot yoga », a fait l’objet de poursuites judiciaires pour viol et harcèlement sexuel. Le véritable fondateur du kundalini yoga, Yogi Bahjan, ancien douanier indien arrivé en Californie dans les années 1970, était accusé de demander à ses élèves de travailler douze heures par jour et de les obliger à suivre un régime très strict. En France, en 2021, l’ancien professeur a été condamné pour abus de faiblesse à quatre ans de prison et 600 000 euros de dédommagement pour une dizaine de victimes dont il a abusé physiquement, mentalement et sexuellement.
Pendant la pandémie, les cercles complotistes se sont facilement infiltrés dans le monde du yoga. Aux États-Unis, il a été en partie séduit par le mouvement complotiste QAnon. A tel point que ses followers ont leur propre surnom : « pastel » QAnon, dérivé de l’esthétique des comptes bien-être sur Instagram. Décédé en 2021, l’icône du mouvement kundalini Guru Jagat a invité Kerry Cassidy, un théoricien de QAnon, à son podcast. Alan Hostetter, l’un des plus célèbres émeutiers entré au Capitole le 6 janvier, était aussi un yogi. Et les milieux francophones montrent une familiarité avec le monde de la « conspiritualité ». Des personnalités comme le conférencier en développement personnel Jean-Jacques Crèvecoeur, bien connu dans la sphère anti-vaccination depuis la pandémie, revendiquent pratiquer le yoga. « Comme un complot ou la naturopathie, le yoga apporte une explication globale », note Tristan Mendès France, spécialiste des communautés marginalisées.
Ces dérives sont rendues possibles par un secteur qui n’est rattaché à aucun ministère et n’est soumis à aucun contrôle. D’où la démarche de certains acteurs, initiés pendant l’incarcération, de s’organiser à travers ce nouveau Syndicat des Professionnels du Yoga. « Nous avons créé un référentiel pour les écoles normales et travaillons avec différents ministères pour parvenir concrètement à la labellisation », résume Elodie Garamond. Mais il n’est pas aisé de faire dialoguer les dix fédérations de yoga qui coexistent en France, et les discussions avec les administrations prennent du temps. « Nous avons déjà entamé ce processus, notamment avec la Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle. Il y a un mouvement de fond, mais on n’en est pas encore là », souligne Ysé Tardan-Masquelier. En attendant, il appartient aux acheteurs d’être prudents.
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