Le paysage de la bière a considérablement changé au fil des ans. La sacro-sainte Pilsner a laissé place aux bières au concombre, aux bières CBD, aux bières à triple fermentation, aux bières acides fortement houblonnées et même aux bières colorées. Il existe aujourd’hui autant (sinon plus) de recettes de bières qu’il y a de brasseurs et de microbrasseurs. Que pensent-ils de ces nouvelles recettes ? Pouvons-nous en profiter pour devenir une plus grande partie du paysage local ? Pour en savoir plus, nous avons rencontré les brasseurs Christian Artzner de Perle, Ben et Soizic de Bendorf, et Edouard Haag et Anne Perra de Meteor.
Historiquement, la bière alsacienne a longtemps été soumise au Reinheitsgebot. Cette loi (une des premières) sur la pureté de la bière précise les 3 seuls ingrédients possibles : eau, orge, houblon. Mais depuis son abandon après la Première Guerre mondiale, les brasseurs peuvent recourir à un nombre presque illimité de combinaisons.
Pendant les étapes de fabrication, par exemple, même en changeant la température de la purée, la température de fermentation ou la température du malt d’orge, on obtient une bière complètement différente.
Le choix des ingrédients est également important, bien sûr. En plus de malter l’orge, le brasseur peut également la torréfier (voire la fumer). Il peut utiliser d’autres grains (maïs, riz, blé, etc.) pour jouer sur la clarté ou le trouble de la bière. Incorporant des fruits, du café, du cacao, les options semblent illimitées. Chaque brasserie pose sa patte et élargit le champ des possibles à chaque recette, d’autant que les matières premières sont de plus en plus variées et de plus en plus accessibles.
Une activité créative comme une autre
Développer une recette de bière est comme toute activité créative. Comme pour créer une œuvre d’art, il y a une étape de recherche, d’analyse et de mixage pour créer quelque chose de nouveau. Les brouillons, les recettes sont brassées à très petite échelle, comme on pourrait le faire à la maison, et le La donne le produit fini. Les dégustations sont là, encore et encore, même s’il y a toujours de la modération, jusqu’à ce que les papilles s’accordent avec le cerveau.
La manière la plus courante d’innover, de créer, est de combiner des idées. Dans le cas de la bière, les idées se trouvent dans de nouveaux ingrédients et des accords mets-vins surprenants. Cela permet d’imaginer toutes sortes de bières délicieuses comme, en ce début d’été, La Main Lourde de Bendorf, au concombre et au poivre.
Chacun s’inspire des autres, de ce qu’il goûte ailleurs. L’innovation se fait souvent par essais et erreurs, par des expérimentations de courte durée.
« Et si cela ne plait pas ? » Le boom des bières éphémères
Ces nouvelles recettes sont généralement très originales. Comment assurer le succès d’un produit dans cette situation ? Les brasseurs se sont inspirés d’un phénomène bien connu en Alsace depuis longtemps, les bières éphémères. Alors oui, chez nous, elles sont en place sous forme de bières de saison (bières de Noël, bières de printemps), mais aujourd’hui, elles permettent de commercialiser des bières surprenantes et de s’affranchir de l’exigence d’un succès à long terme. Et puis enfin, si les consommateurs les déchirent, c’est le signe parfait pour les brasser à nouveau.
Une bière éphémère est souvent l’affaire d’un ou d’un seul brassin. Un coup résultant en un nombre limité (mais suffisant) de bouteilles. La brasserie permet toutes les fantaisies et pour s’inscrire davantage dans un cadre local elle se permet de collaborer avec d’autres acteurs : vignerons pour Perle, maraîchers locaux, ou encore associations comme nous l’avons récemment découvert pour vous avec Bendorf.
Incorporer le paysage local
La bière est le principal produit de notre région, elle est donc bien sûr ancrée dans le paysage local. L’ingrédient le plus célèbre ici, le houblon, est principalement produit ici. L’un des premiers leviers pour innover dans les recettes de bière est la variation. Certains houblons donnent des arômes de citron, de fleurs ou même tout simplement de noix de coco. Ça tombe bien, en Alsace, on innove régulièrement dans la recherche agronomique depuis les années 1990.
Les brasseurs cherchent désormais d’autres moyens de rester fidèles au paysage gastronomique local. Perle, par exemple, a longtemps proposé ses bières Dans les vignes en collaboration avec un vigneron local, et vieillit désormais les bières dans des fûts de Pinot Noir, en utilisant des levures sauvages (qui redonnent de l’acidité à la bière d’agneau). Bendorf travaille le miel d’Alsace bio pour son Miel Harmonie.
L’ancrage dans le territoire permet à la bière de s’étendre au-delà du monde culinaire. Ainsi, chaque bière éphémère est souvent l’occasion de mettre en avant des artistes pour des labels, que ce soit chez Bendorf, Meteor ou autres.
La bière artisanale permet de créer des liens dans un tissu local de plus en plus interconnecté.
La bière d’Alsace, éternelle Pils ?
Quelqu’un qui pense que la bière d’Alsace est toujours une Pilsner. Mais il n’en est rien, nous venons de le voir.
Christian Artzner, de la brasserie Perle, nous dit que la bière d’Alsace est avant tout fabriquée en Alsace. Les labels et les catégories restent subjectifs car le marché de la bière est dynamique, et à juste titre, aujourd’hui. Selon Philippe Martin, du Comptoir Agricole, la vraie bière d’Alsace intègre des ingrédients locaux. Il peut y avoir une gamme complètement différente, à condition de connaître le terroir.
Anne Perra, maître brasseur chez Meteor, met en valeur ce savoir-faire alsacien centenaire. On aime le goût du travail bien fait, on apprécie le produit. Du fait de la double influence allemande et latine, les brasseurs ont longtemps été contraints de développer des arômes avec le houblon, seul ingrédient autorisé à une époque, alors que les Belges, par exemple, influençaient leur goût par d’autres moyens.
Enfin, l’aspect culturel de cette boisson est très important pour nous. Édouard Haaag, président de Meteor, est d’accord : en Alsace, on sait apprécier la bière à table, on aime l’associer à nos plats régionaux qui lui vont très bien. Avec la choucroute, la tarte flambée est un délice de dégustation de bière.
Un véritable écosystème gastronomique indispensable à la bière vit en Alsace et promet de bons moments, toutes recettes et créations confondues.