Il pleuvait abondamment ce jour-là. Une pluie froide et intense, celle qui vous transperce le cœur et les os. Je me souviens que c’était lundi après-midi. Il fallait que je sorte, j’avais un rendez-vous pour mon premier cours de yoga pas comme les autres. Ce jour-là, l’esprit a vaincu la paresse. Motivée, j’arrive toute mouillée devant une de mes librairies préférées : Guibert Jeune sur les grands boulevards de Paris. Après avoir escaladé les étages en me laissant quelques gouttes, traversé les rangées de livres et de BD, j’ai complété l’accès au grenier secret. J’étais prêt à vivre l’expérience de Nour, lumière en arabe. Avec un temps comme celui-ci, nous ne pouvions pas rêver mieux.
Venez comme vous êtes
Nous avons une dizaine de participants à dérouler leurs tapis sur fond de musique douce et enjouée. Pas de lycra tendance ici, mais des gros pulls, jeunes, vieux, cintrés, dos cassé, une belle variété. Faustine Caron est notre enseignante aujourd’hui, c’est elle qui a inventé tout ce dispositif pour rendre le yoga accessible aux personnes en situation de vulnérabilité. Dans la salle se trouve Anaïs, qui fait du yoga depuis 3 ans. « Quand j’ai commencé, je n’étais pas très bon. Cela m’a permis de connaître et d’aimer mon corps et d’être plus sereine. « Il y a aussi Laure qui, étant au chômage, cherchait une activité pas trop chère et « des cours où toutes les filles ne portent pas de fringues à 200 euros. « Et il y a Laurent, qui a connu Nour grâce au CSAPA (Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention des Toxicomanies). « J’ai été opéré d’une hernie discale en 1986 alors que j’étais en vacances avec ma petite amie. Le yoga me fait beaucoup de bien. En plus Faustine me dit que j’avance bien. »
Pendant 45 minutes, Faustine nous guide en musique. On suit lentement les positions, chacun avance à son rythme, l’ambiance est légère, le temps s’arrête. Certains ont besoin d’une chaise pour faciliter le mouvement, d’autres excellent au chien descendant. On se sent libre, ainsi que le prix des cours, c’est un des principes de l’association Nour. « J’ai découvert le yoga à Paris alors que je commençais à peine à travailler, explique Faustine, je ne me sentais bien ni dans cette ville ni dans mon monde professionnel, la pratique me permettait d’être un rempart contre le stress. »
Quelques années plus tard, après avoir parcouru le monde pour se familiariser avec de nombreuses pratiques de yoga, Faustine a décroché lors d’un week-end en famille. « J’ai improvisé un cours de yoga avec mes petits cousins, ma grand-mère handicapée, les mineurs non accompagnés que ma mère héberge. Il y avait beaucoup de corps différents, même les chiens étaient couchés, je me suis rendu compte que j’aimais ça, cette diversité de participants. »
Faustine s’est formée au yoga, et en 2019 elle a soumis le statut Nour. Elle enseigne la pratique aux Grands Voisins à Paris, friche éphémère de l’ancien hôpital Saint-Vincent de Paul qui réinvente le partage et la solidarité depuis 5 ans. « Dans mes cours, j’avais à la fois du grand public et des exilés, des jeunes du quartier. J’avais la preuve que le concept fonctionnait. »
Yoga sur mesure
Pendant son confinement, Faustine continue en ligne, reverse des bénéfices de cours à l’association Utopia 56, une association qui se mobilise pour les exilés et en 2021 quitte son CDI dans un cabinet de conseil pour s’aventurer à 400% dans Nour. Incubée à Pulse, l’incubateur de SOS Group, puis à Meaningful for Entrepreneurs, Nour développe des partenariats avec Aurora, France Terre d’Asile, l’APHP et passe à la vitesse supérieure. « Aujourd’hui, Nour compte 80 professeurs de yoga dans 6 villes en plus de Paris. Ils sont formés au yoga de style Nour, un enseignement apolitique et non religieux. Depuis quelques mois, nous donnons des cours principalement dans des centres communautaires, des Ehpad et des institutions spécialisées pour que le yoga soit vraiment accessible à tous », se réjouit Faustine. Pour chacun de ces groupes, Nour se tourne vers des éducateurs spécialisés ou des personnes de soutien pour bien ajuster la pratique. « Je ne parle pas de la mer avec les exilés, c’est trop douloureux. »
« Nous pensons que tout le monde devrait pouvoir accéder au yoga, quel que soit son sexe, son origine culturelle ou sociale, et qu’en plus des bénéfices individuels, ils sont aussi collectifs : le yoga est un puissant outil de diversité. »
Avec son tapis de yoga, Faustine a recueilli de nombreuses belles histoires. « Les Grands Voisins recevaient à chaque fois la visite d’un jeune mineur non accompagné. Au début, il ne pouvait rien faire parce qu’il était tellement musclé. Il travaillait à ses postes et ressentait une réelle fierté. Un jour, il a demandé à d’autres étudiants de l’aider avec son CAP qu’il a obtenu, il était super reconnaissant. Cette année, une immigrée indienne qui pratiquait le yoga enfant a partagé son cahier scolaire avec toutes les postures. Faustine se souvient aussi de l’arrivée de Marco avec un corps ravagé. « Il n’est pas en difficulté aujourd’hui, la transformation sur les corps est étonnante ». Avec Noura, la transformation du cœur est tout aussi importante. « Parce que j’ai du yoga, j’ai de l’espoir », m’a récemment confié un yogi réfugié.