Hausse des taux de crédit et refus de prêt, le marché immobilier est-il entré dans une phase de ralentissement ? Après la crise sanitaire, les doutes économiques accompagnant le conflit en Ukraine inquiètent les acteurs du marché. A l’inverse, la solution vie attire de nouveaux publics. « La rente viagère est un investissement social et responsable », précise Henri-Pierre Ouhibi, directeur général de Senior Consulting Group, société spécialisée dans l’évaluation du patrimoine et les opérations de rente viagère. Rencontrer.
Actu-Juridique : La hausse du taux moyen des crédits immobiliers amorce-t-elle un basculement du marché avec une baisse des prix et des ventes ?

Henri-Pierre Ouhibi : Jusqu’au déclenchement de la crise sanitaire, le marché immobilier évoluait dans un contexte extrêmement favorable avec des taux de crédit qui tournaient autour de 1% et une facilité de prêt avérée. Cependant, le Covid a quelque peu changé la donne avec une baisse importante et logique des transactions dans un contexte de crise. Maintenant, les tensions liées à la guerre en Ukraine avec l’inflation et un ralentissement économique affectent à nouveau le marché. Les acteurs économiques anticipent les difficultés et la confiance semble progressivement céder la place au doute. Les banques, par exemple, sont moins enclines à accorder des prêts aux primo-accédants. Par exemple, en Seine-Saint-Denis (93), des primo-accédants se sont vu refuser un crédit pour l’acquisition de leur premier logement. Les conditions d’emprunt ont été durcies avec notamment une réévaluation de l’apport personnel exigé. Actuellement, les professionnels de l’immobilier estiment que près d’un tiers des demandes sont refusées, ce qui n’était pas arrivé depuis cinq ans. Logiquement, si la demande baisse, les prix des biens continueront également de baisser.
Pouvons-nous donc en conclure que nous sommes face à une profonde mutation du marché ? Il faut encore patienter quelques mois avant de le dire, mais tout porte à le croire.
Actu-Juridique : Cela profite-t-il au marché du viager ? Si oui, pourquoi ?

Henri-Pierre Ouhibi : Notre groupe a connu une augmentation annuelle des demandes d’information pour les ventes de rentes viagères d’environ 30 %, avant même la pandémie. Plusieurs raisons expliquent cette tendance. Premièrement, personne n’est censé l’ignorer, mais il y a un vieillissement de la population générale. Aussi, contrairement à il y a quelques décennies, les personnes âgées expriment désormais le désir de « mieux vivre ». Ils veulent profiter, rénover, consommer, voyager ; ça a un coût. La rente viagère permet, via la rente versée par l’acquéreur, de répondre à ce besoin de financement tout en continuant à vivre dans son logement. De nombreuses personnes âgées souhaitent également aider leurs proches au cours de leur vie, ce qu’elles peuvent faire en recevant un « bouquet », par exemple. Enfin, il faut noter que l’attractivité de la rente viagère touche toutes les catégories sociales. Les actifs de nos vendeurs vont de 200 000 € à 5 000 000 €. Autrement dit, le viager n’est pas une affaire de « riches ».
Actu-Juridique : Qu’en est-il des investisseurs ? Sont-ils, eux aussi, de plus en plus nombreux à se montrer intéressés par l’achat en viager ?

Henri-Pierre Ouhibi : Oui, l’intérêt pour la rente viagère est encore plus grand côté acquéreur. Le viager constitue un placement sûr, qui permet d’obtenir la propriété d’un logement dès la signature chez le notaire et ce grâce à un apport initial bien inférieur (de l’ordre de 15% de la valeur du bien) à celui dans le cas d’un achat « classique » (environ 20% du montant total de la transaction). Le ticket d’entrée est donc beaucoup plus abordable pour une grande partie de la population.
Dans le détail, il existe deux grandes catégories de rentes viagères. La première, le viager occupé, consiste à verser une rente viagère au vendeur qui continue à habiter le logement. Le viager libre, quant à lui, permet à l’acquéreur de bénéficier de l’usage du bien dès la signature de l’acte authentique chez le notaire. A noter qu’à la signature, il est d’usage que l’acheteur verse un bouquet au vendeur. La rente viagère, quant à elle, est évaluée selon l’espérance de vie et la valeur du bien ainsi que selon le type de rente viagère. La rente sera logiquement plus élevée pour un viager libre que pour un viager occupé.
Actu-Juridique : Beaucoup de personnes pensent que le viager est un « pari sur la mort », que répondez-vous à cela ?
Henri-Pierre Ouhibi : On confond souvent « pari » et « aléa » et cela par méconnaissance de l’intérêt de la rente viagère et de son fonctionnement. Les calculs qui permettent d’établir les montants (rente viagère et bouquet) sont très précis et tiennent compte de la durée d’occupation et des dégagements éventuels. De plus, la rente viagère offre des avantages pour les deux parties. Pour l’acquéreur, il représente une formidable opportunité de se constituer un patrimoine à moindre coût qu’un achat classique, sans tenir compte de ce fameux aléa. Pour le vendeur senior, la rente viagère constitue un formidable complément de revenu, bienvenu au moment de la retraite. De plus, pour un investisseur, une rente viagère est un investissement social et responsable puisque l’argent est réintroduit dans l’économie et qu’il profite directement à une personne et non à un promoteur immobilier, par exemple.
Actu-Juridique : Pour le vendeur, le viager peut-il être un moyen de déshériter ses descendants ?

Henri-Pierre Ouhibi : C’est encore une idée fausse tenace sur la rente viagère. S’il est vrai que certains vendeurs, pour des raisons personnelles, ne souhaitent pas que leurs enfants héritent de leur patrimoine immobilier, il n’existe aucune base légale pour les déshériter en recourant à la rente viagère. De plus, les revenus qui seraient épargnés grâce à la rente viagère par exemple, reviendront aux descendants après le décès du vendeur. Comme je vous l’ai dit, plusieurs personnes utilisent la rente viagère pour aider leurs enfants ou petits-enfants au cours de leur vie. Enfin, la rente viagère peut être perçue comme une solution de facilité pour les familles nombreuses et dispersées géographiquement. Il permet de valoriser immédiatement un bien et de ne pas laisser « à l’abandon » une maison dont les descendants ne sauraient que faire.
Actu-Juridique : Le viager constitue-t-il, d’après vous, une réponse tangible au vieillissement de la population et à la nécessité de financement qui va avec ?
Henri-Pierre Ouhibi : Je le crois. Cependant, il est nécessaire de former des professionnels capables de répondre à cette problématique. La rente viagère n’est pas un produit immobilier comme les autres. Notre société, Senior Consulting Group, est un acteur de la gestion de patrimoine. Notre activité n’est pas égale à celle d’un agent immobilier. Ainsi, pour répondre aux besoins des vendeurs ou acquéreurs de rentes viagères, des professionnels compétents et formés à toutes les formules innovantes sont nécessaires. La rente viagère d’il y a 30 ans n’est pas la même qu’aujourd’hui et sera encore différente dans 20 ans. Le vieillissement de la population implique des besoins différents selon les âges et les situations de chacun. La formule classique « bouquet-rente » n’est plus la seule existante et efficace.
Actu-Juridique : Existe-t-il une réalité géographique du viager ? Cette solution est-elle privilégiée par exemple à Paris ou en Île-de-France, là où l’accès à la propriété est le plus difficile économiquement ?
Henri-Pierre Ouhibi : Vendre ou investir dans une rente viagère est intéressant partout sur le territoire. Cependant, on note des difficultés à trouver des investisseurs dans les zones rurales. A Paris et en Île-de-France, en Seine-Saint-Denis (93) par exemple et plus généralement dans les zones les plus denses ou sur le littoral méditerranéen, là où les prix sont les plus élevés, la solution tout au long de la vie se renforce chaque année. C’est une alternative plus qu’intéressante à l’investissement ordinaire, du fait des prix de l’immobilier très élevés dans ces territoires.