L’astronaute Sophie Adenot, professeur de yoga qui sera bientôt sur l’ISS

Publié le 29 novembre 2022 à 18 h 11 Mis à jour le 29 novembre 2022 à 18h26

Vingt ans après Claudie Haigneré, Sophie Adenot, 40 ans, devient la deuxième Française choisie par l’Agence spatiale européenne (ESA) parmi les 22 523 candidatures reçues en 2020. Après un processus de recrutement d’un an et neuf mois, elle en fait désormais partie. de la nouvelle promotion spatiale de 17 Européens, dont 5 astronautes, révélée le 23 novembre. « Un rêve de petite fille », sourit-elle sans saluer. Avant d’être rattrapée par son humilité : « Je suis totalement débutante dans ce métier ! J’ai encore tout à apprendre… »

A partir du 3 avril, le pilote formateur suivra une formation de base d’un an à Cologne, en Allemagne. Au programme : stages de survie, découverte, explications et maîtrise des technologies utilisées par les astronautes. Et ce n’est que le début. Une fois affectée à une mission au sein de l’ISS (station spatiale internationale), Sophie Adenot devra s’entraîner pendant deux ans, de manière et dans des conditions plus spécifiques. Par exemple, les astronautes simulent leurs éventuelles excursions extravéhiculaires – c’est-à-dire des opérations à l’extérieur de l’ISS – comme des plongeurs dans une piscine.

« J’irai là où on me demande d’aller »

Sans oublier les voyages en Floride pour se familiariser avec les vaisseaux SpaceX dans lesquels Thomas Pesquet et ses amis américains et européens sont partis récemment. Là encore, prudemment, il rappelle que le départ n’aura pas lieu avant 2026. Beaucoup d’inconnues dans son parcours. « Aujourd’hui, personne ne peut dire dans quel vaisseau nous voyagerons… » Vous ne savez même pas où vous volerez. « Je vais où on me dit ! » Cible de l’ESA : la Lune et la planète Mars.

Tout en menant une mission et en répondant à des ordres, « la » lieutenant-colonel Sophie Adenot (elle préfère ne pas féminiser le titre) sait y faire. Elle a passé dix-sept ans dans l’armée de l’air et les hélicoptères volant dans l’espace. De ces années militaires, elle garde patience et discipline. « C’est une institution pleine de gens passionnés et passionnants. »

D’hélices et d’eau fraîche

Son truc : les hélicoptères. Une passion qu’elle a découverte lors de son premier emploi chez Airbus Helicopters, à Marignane, en Provence. En tant qu’ingénieur, elle conçoit des cockpits, notamment celui du modèle H225. « Je l’aime! » elle plaisante encore aujourd’hui. Après l’avoir tant vu, vous avez envie de le piloter. En 2005, seule l’Armée de l’Air en est équipée. Elle a donc postulé, a été acceptée et formée au pilotage.

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De 2019 à 2022, Sophie Adenot a travaillé comme pilote d’essai au sein de la DGA Essais en Vol, au sein de l’Armée de l’Air et de l’Espace.

Apprendre, le Bourguignon de souche adore ça. Jetez un œil à son CV. Sophie Adenot est diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure de l’Aéronautique et de l’Espace (Isae-Supaero) de Toulouse. Au cours de ses études, elle s’est spécialisée dans la dynamique de vol des véhicules spatiaux et des avions. A 22 ans, elle obtient un master au prestigieux MIT de Boston où elle travaille sur la conception de centrifugeuses pour l’entraînement spatial.

Infidélités répétées au H225

En 2019, elle devient la première femme pilote d’essai d’hélicoptère, au Centre d’Essais en Vol de la Base Aérienne de Cazaux en Gironde. Aujourd’hui, Sophie Adenot cumule 3 000 heures de vol sur 22 types d’hélicoptères différents. Et soit dit en passant, parle couramment quatre langues en plus du français : anglais, allemand, espagnol et russe.

« Je n’ai jamais arrêté d’étudier », souligne ce très bon élève. Son goût pour les études et l’excellence de son parcours, ainsi que son caractère consensuel étaient des critères importants pour l’ESA. Une histoire où tout va bien, enfermés ensemble dans une capsule à des milliers de kilomètres de la Terre. Là-bas, elle retrouvera certainement ses camarades de classe : deux médecins, un astrophysicien, deux ingénieurs (spécialisés dans le biomédical et l’aérospatial). « Cette diversité est un vrai cadeau ! »

L’étiquette de première pilote devenue astronaute la séduit plus que celle de « première ou deuxième femme » à faire ceci ou cela. Elle ne se définit pas comme une « féministe ». Pourquoi? « Mon métier, pilote et maintenant astronaute, n’a pas de sexe pour moi. Dans ces domaines, dit-elle, les femmes sont considérées autant que les hommes, sinon plus.

« Pourquoi pas moi ? »

Elle est consciente de ce qu’elle doit aux pionnières qui ont « brisé les barrières » comme Jacqueline Auriol, pilote d’essai et recordman de vitesse ou Claudie Haigneré, première Française envoyée dans l’espace en 1996. « Véritable déclic » pour la petite Sophie qui avait alors 14 ans, qui demandait : « Pourquoi pas moi ? »

Durant sa scolarité, elle a suivi des forums, des événements, des conférences autour de l’espace. A ces occasions, elle rencontre parfois ses idoles, qui deviendront plus tard ses collègues. Leur conseil, désormais, elle retient : « Fais un métier que tu aimes, et si tu deviens astronaute, ce sera la cerise sur le gâteau. »

Des progrès palpables

Maintenant qu’elle l’a fait, elle souhaite qu’être une femme soit accordée comme une autre. D’autant que les progrès sont palpables : dans la dernière promotion européenne de l’ESA, en 2009, sa collègue italienne Samantha Cristoforetti était la seule femme de sa promotion. Ils sont 2 sur 5 en 2022, et plus de la moitié si l’on compte les astronautes de réserve (8 sur 17).

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Si Sophie Adenot ne se mobilise pas pour la cause féministe, elle le fait en revanche pour l’égalité des chances. Elle est marraine depuis 2009, avec Thomas Pesquet, du dispositif « OSE l’Isae-Supaero », qui vise à favoriser et faciliter l’accès à l’enseignement supérieur des collégiens et lycéens des quartiers prioritaires et des zones rurales isolées. Un jour, un jeune homme vient lui dire que c’est grâce à elle qu’il est devenu ingénieur. L’évocation de ce souvenir tranche l’armure de ce scientifique qui ne semble pas aimer trop jeter.

Qui l’a poussée à réussir ? Ses parents. Que font-ils? On n’en saura pas plus que ce qu’en dit Wikipédia : un père notaire et une mère pharmacienne qui ont eu quatre enfants dont deux, elle et son petit frère Richard, distingués Young Leader de la Franz American Foundation. Et elle? À demi-mot, elle se croit mère. L’astronaute préserve sa vie privée de cette tournure médiatique « inquiétante ».

Prof de yoga à ses heures perdues

Avait-il seulement des ratés ? « Je n’aime pas vraiment ce mot. Elle préfère « les expériences qui ne se sont pas déroulées comme on l’imaginait » ou « les occasions d’apprendre », rétorque-t-elle en fidèle héritière de la culture américaine introduite sur les bancs universitaires. Elle finit par nous donner deux exemples : à la fin de sa prépa, elle échoue au concours de Polytechnique, et en 2009 elle échoue à la troisième étape de la sélection ESA. Mais rien n’est perdu. « Cela m’a permis de voir comment se déroulait réellement le processus de recrutement. »

Encore quelques années pour se consacrer à ses loisirs sportifs. Lorsqu’elle ne saute pas en parachute ou ne descend pas une pente en VTT ou à ski, elle fait de la plongée sous-marine ou pratique le yoga. Aficionada depuis dix ans, Sophie Adenot a souhaité « faire évoluer sa pratique » en devenant enseignante il y a deux ans. « Un cours de yoga par mois, principalement pour les amis », explique-t-elle. De quoi détendre tout son futur équipage.

Repères

Études : Lycée de la Légion d’honneur (93), prépa scientifique, Isae-Supaero, MIT (Boston, USA)

Lieu de travail : Cologne, Allemagne

Distinctions : Ordre National du Mérite et Médaille de l’Assemblée Nationale (2022)