Tribune
-Professeur à l’Université ParisDauphine-PSL, Directeur de Recherche Dauphine en Management
La professeure de management Valérie Guillard s’interroge, dans une tribune du « Monde », sur le sens du mot « sobriété » utilisé par Emanuel Macron : art de la « bien vivre » ou gestion du manque, expliquant que pour changer l’entreprise, il faut longtemps est nécessaire.
Publié aujourd’hui à 20h00. Temps de lecture 3 min.
Sobriété. Conseils pour une longue vie, c’est le titre du livre publié par Luigi Cornaro en 1558. Ce Vénitien, libertin et fêtard, touché par des crises de goutte dès l’âge de 30 ans, a su « changer de vie » pour retrouver la santé. et se termine près d’un siècle. Il peut être considéré comme l’un des apôtres de cette sobriété appelée aujourd’hui à rendre plus durable non seulement la vie individuelle, mais la présence humaine sur Terre.
La sobriété comme art de profiter de la vie, avec une sobriété qui garantit des plaisirs durables. Platon [v. 427 av. J.-C.-v. 348 av. J.-C.] recommandait déjà la modération dans la République : il ne faut pas diriger la partie de notre âme qui ne désire « ni manque ni satiété ». Pour vivre bien et longtemps, la sagesse consistait alors à « évaluer ses désirs pour ne satisfaire que ceux qui sont raisonnables ».
Depuis 2015 et les accords de Paris, les chercheurs ont souvent fait appel à cette conception ancestrale de la sobriété, cette vertu du passé, cet art de la tempérance exalté par saint Thomas d’Aquin [1225-1274], transmis avec rigueur dans les sociétés protestantes traditionnelles, et qui la société de consommation si dangereusement dépassée de la seconde moitié du XXe siècle.
Ce qui appelle la sobriété telle que définie par les philosophes, c’est que les citoyens réfléchissent à leurs désirs de consommateurs, au mimétisme qui les incite à fermer les yeux sur les produits de leurs voisins, à leur soif de reconnaissance, y compris des marques qui savent jouer si bien pour insuffler l’envie et faire tourner les usines du monde de plus en plus vite. Il s’agit de trouver une ligne, où chacun puisse « vivre mieux avec moins », qui préserve la possibilité d’existence humaine à moyen terme.
Apprendre à réparer
Mais la sobriété à laquelle le président Macron a exhorté les Français début septembre a-t-elle quelque chose à voir avec cette notion complexe, cet art subtil de la « bien vivre » ? Rien n’est moins sûr. Dans notre livre Comment consommer avec sobriété (De Boeck Supérieur, 2021), nous montrons comment les mots structurent nos représentations. Alors que la sobriété a commencé pour certains, alimentée par les températures extrêmes de ces derniers mois, à devenir une valeur, une voie possible vers un mode de vie plus réfléchi, elle est désormais associée, avant tout, à la gestion du manque d’énergie et, qui plus est, à une manque a priori transitoire.
Dans une telle situation, il est évidemment nécessaire de débrancher certains de nos appareils électriques et de porter un chandail supplémentaire alors qu’il chauffe jusqu’à 19 degrés, comme nous sommes encouragés à le faire.
Il vous reste 44,58% de cet article à lire. Ce qui suit est réservé aux abonnés.
Vous pouvez lire Le Monde sur un appareil à la fois
Ce message s’affichera sur l’autre appareil.
Parce qu’une autre personne (ou vous) lit Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.
Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).
Comment arrêter de voir ce message ?
En cliquant sur » » et assurez-vous d’être la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.
Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?
Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté à ce compte.
Non. Vous pouvez vous connecter à votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais les utiliser à des moments différents.
Vous ne savez pas qui est l’autre personne ?
Nous vous conseillons de changer votre mot de passe.