Trois chambres, un petit jardin et une situation idéale au pied de la Dune du Pilat. Pendant plus de dix ans, Kate et Enrico ont vécu tranquillement dans leur « modeste » maison, située à seulement 20 mètres de l’épicerie qu’ils tenaient depuis 2015, au milieu du Pyla Camping. Dans ce havre de paix girondin, en bordure du bassin d’Arcachon, le couple passait ses étés au service des clients, leur proposant poulet rôti et pain frais, tout en organisant presque tous les soirs des dîners entre amis ou des soirées avec les enfants et leurs amis. « La vie était simple : nous nous sommes réveillés heureux, à cinq minutes de notre lieu de travail, et c’était une maison du bonheur », résume Kate. Mais il y a quelques semaines, cet équilibre pacifique a pris fin. Le 12 juillet, en pleine nuit, les pompiers ont dû quitter précipitamment les centaines de clients du camping : en quelques heures, un immense incendie s’est dangereusement rapproché des tentes et des bungalows, tous dotés de bonbonnes de gaz. En quelques jours, il détruira 20 800 hectares de forêt, forçant plus de 36 000 personnes à quitter leurs foyers dans la région.
Pressés, Kate et Enrico sont hébergés pour la première fois pour une nuit à quelques kilomètres du camping, chez un ami de la famille. Puis un neveu leur propose d’emménager dans sa maison bordelaise pour quelques semaines : ils devront céder leur logement à des locataires d’ici fin août. « Au début, nous ne pensions pas rester. Nous pensions que le camping serait épargné », raconte Enrico, qui espère ensuite être évacué par précaution. Mais le 18 juillet, l’homme a vu le carnage en direct, grâce aux images des caméras de surveillance de son épicerie. « J’ai d’abord vu la fumée dehors, puis les caméras se sont éteintes. Et j’ai compris que tout avait été effacé de la carte. » Le camping et la « maison du bonheur » ont été réduits en cendres, ainsi que les papiers d’identité, cartes vitales, premières photos des enfants, photos, jeux de famille et mobilier qui s’y trouvaient. De l’épicerie, il ne reste que quelques étagères carbonisées, où l’on devine une dizaine de canettes sauvées par le feu. « On n’a plus rien. On a pu prendre une brosse à dents, des tongs et un bermuda avant de partir… Et dans deux semaines, on ne sait même pas où on va dormir », souffle Enrico.
Comme des dizaines d’habitants victimes des incendies qui se sont déclarés dans toute la France depuis le début de l’été, ce quinquagénaire se prépare désormais à « la suite ». Assurance, indemnisation, logement, traumatisme lié à l’incendie… « Il faut tout gérer au plus vite, tout en faisant le deuil de sa vie d’avant », dit-elle, lasse. Pour le moment, le couple est au chômage partiel, et ne sait pas si leur activité reprendra un jour. Malgré le soutien administratif de la mairie et la solidarité des amis, les questions se multiplient. « Le propriétaire réfléchit à reconstruire le camping, mais que va-t-il se passer entre-temps ? Qui nous embauchera ? Et qui acceptera, sans travaux, de nous louer un appartement ? Où habitera-t-on en septembre ? ». En ce moment, les anciens gérants du dépanneur attendent avec impatience les résultats de l’expertise de leur spécialiste en assurance. Mais Enrico a peu d’espoir. « Nous n’avons aucune garantie sur le montant que nous allons recevoir, ni pour l’épicerie ni pour la maison. Le plafond pour l’intérieur de notre logement est de 55 000 euros… Pour la vie, ce n’est rien ».
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« On n’aura pas un euro »

« Pour les victimes, c’est très difficile : souvent quand un drame survient on se rend compte des détails du contrat d’assurance. Or, il y a des victimes qui ont des assurances insuffisantes, des contrats mal construits, des plafonds de garantie qui ne sont pas suffisants pour de tels dommages », et une multitude de clauses qui ne permettent pas toujours de mettre en œuvre ces garanties : avez-vous correctement débroussaillé votre terrain par exemple ? par rapport à la distance avec vos voisins ? », prévient Fabrice Barthélémy, expert en sinistre à Bordeaux et directeur de la Salomon Institute, association spécialisée dans l’évaluation des risques. Après les incendies de la Teste-de-Buch, l’homme a participé à plusieurs réunions d’information et ateliers de conseil dans la région, afin d’orienter au mieux les sinistrés. « Une fois le sinistre et tous les sinistres déclarés, chaque cas est différent. Le plus difficile est de vérifier l’applicabilité des garanties prévues au contrat. En cas d’interruption d’activité par exemple, seules certaines assurances pouvant une indemnisation si elles peuvent reprendre leur activité… Ce n’est pas toujours possible. Il y aura certainement des trous dans le racket : les victimes pourraient se retrouver sans rien, ou presque rien ».
Sébastien ne connaît que trop bien ces fameux « détails » d’assurance, et il ne peut rien contre eux. « J’avais toujours fait confiance, en pensant qu’on s’occuperait de moi coûte que coûte. Mais en fait, je pense qu’il n’est pas possible de repartir en dessous de nous », a-t-il déclaré, déçu. Le 31 juillet dernier, ce jeune père de famille perdait sa maison et son entreprise de bois, situées entre les communes d’Aubais et de Guallagues-le-Montueux, dans le Gard. Vers 15h30, la gendarmerie lui a demandé d’évacuer le bâtiment face à un immense incendie, qui va brûler plus de 350 hectares de garrigue en quelques heures. « Nous avions cinq minutes pour partir, sauver notre fille de six ans et quelques animaux. C’est allé plus vite qu’un cheval au galop : en 18 minutes, la maison a complètement brûlé. » Dans les décombres, Sébastien et son compagnon ne trouvent que des pincettes. Six chèvres et 35 poules dont s’occupait le couple ont brûlé dans l’incendie, ainsi que 240 000 euros de bois, une collection de montres anciennes, 22 000 euros de caméras de surveillance… Et tous leurs biens, meubles ou souvenirs. « Au total, j’estime nos pertes matérielles à au moins 600 000 euros. Mais en ce moment, l’assurance nous parle d’une indemnisation de 50 000 euros maximum pour l’intérieur de la maison. Et sur la partie active, des machines, des outils, on a gagné ‘ils n’ont pas un euro. Parce qu’ils ne s’occupent pas de tout, et on n’avait pas les bons joints’, résume-t-il.
Sans maison, sans papiers, ni même « sous-vêtements de rechange », le couple a d’abord vécu dans un van aménagé acheté l’année précédente, qu’ils ont rapidement réussi à sauver des flammes. Autour d’eux, voisins et élus se sont rassemblés : une collecte de vêtements a été organisée dans un théâtre de la ville, et un groupe de commerçants locaux a créé un chat en ligne, qui dépasse désormais les 25 000 euros. Un des habitants du village leur a même vendu, « pour presque rien », un mobil-home où ils tentent de retrouver un peu de normalité sur leur ancienne terre. « Mais au moment où je vous parle, ma femme est obligée de cuisiner dans la chèvrerie métallique qui a résisté aux flammes », explique Sébastien, qui attend désormais l’annonce exacte de l’indemnisation à laquelle il aura droit de la part de son assurance. .
« On ne se rachète jamais une vie par plaisir »

« On attend ça, que l’expert passe. Pour savoir à quelle hauteur on va obtenir un remboursement, et surtout quand », indique de son côté Alexandre, menuisier indépendant. Avec sa compagne Céline, l’homme venait d’achever la rénovation d’une ancienne grange, à Belin-Béliet, en Gironde. Mais les incendies massifs qui ont ravagé 7 400 hectares de terres dans le secteur d’Hostens la semaine dernière ont frappé de plein fouet. « On a dû être évacués, et depuis on vit chez ma belle-famille. On pourra peut-être accéder au confinement avec des amis dans quelques jours, mais ce n’est pas sûr », explique Alexandre, qui tente d’organiser une journée aujourd’hui. Le lendemain du drame, un spécialiste des assurances est venu le chercher, pour l’accompagner en ville, avec Céline, pour acheter de nouveaux vêtements. « Autant dire qu’après être entré dans la première boutique, j’ai eu envie d’en sortir au plus vite. On n’achète jamais la vie pour le plaisir ».
Depuis, son oncle a également créé une cagnotte de soutien sur Internet, qui a presque atteint les 10 000 euros. Pour soutenir les victimes de la catastrophe, la mairie de la commune a également mis en place un appel aux dons : ce mercredi 17 août, plus de 8 500 euros avaient déjà été récoltés. Le maire de Belin-Béliet, Cyrille Declercq, a également travaillé avec le département pour proposer une quinzaine de logements possibles aux huit familles dont les maisons ont été détruites par les incendies. « Et nous sommes en train de nous positionner auprès des assurances pour qu’elles puissent répondre au plus vite, avec bienveillance et attention », a soufflé le maire, bien décidé à soutenir ses électeurs. Alexandre est catégorique. Malgré l’incendie et les risques d’incendies qui pourraient se déclarer dans les années à venir, c’est là qu’il entend reconstruire. « C’est chez moi. J’ai l’intention de passer à autre chose ».
Opinions
Chronique d’Aurélien Saussay
Par Aurélien Saussay, chercheur à la London School of Economics, économiste de l’environnement spécialisé dans les questions de transfert d’énergie
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