Alors que nous assistons à la fin de l’ordre américain hérité de l’après-guerre et que nous entrons dans un monde multipolaire, ce changement pourrait bien affecter le système financier international fondé sur la suprématie des États-Unis. Il est fort possible que des puissances comme la Chine, la Russie, l’Iran, le Venezuela ou l’Inde commencent à intégrer le bitcoin dans les bilans de leurs banques centrales pour réduire le risque de sanctions. Les saisies extraordinaires contre la Russie de Poutine pourraient conduire certains États à s’intéresser à la propriété fondamentale de BTC : l’exceptionnelle résistance à la censure. C’est ce qu’explique Matthew Ferranti, économiste à Harvard dans un article de recherche.
La fin de la Pax Americana
Depuis le début des années 2000, on n’a pas vu la chute de l’Empire américain, mais plutôt la fin de son hégémonie. Les États-Unis ne chutent pas, mais ils sont désormais soumis à la concurrence d’autres États-nations, notamment dans le Pacifique.
Naissance d’un monde multipolaire et fin de l’hégémonie dollar
Nous entrons dans un monde multipolaire. Ce nouveau monde comprendra de nouvelles puissances telles que la Chine, une Europe nouvellement unifiée et l’Inde qui pourraient éventuellement remplacer l’Empire du Milieu. Quant à la Russie, c’est avant tout un État voyou ruiné doté de l’arme nucléaire, mais nous sommes loin de la capacité de nuisance des Soviétiques.
Poutine, le paria nucléarisé
Déjà ces dernières années, la Russie de Poutine a été un important facteur d’instabilité. En plus d’envahir agressivement ses voisins, Poutine a tenté à plusieurs reprises d’influencer les élections dans d’autres pays. Il a également envoyé des mercenaires en Afrique et soutenu le régime d’Assad en Syrie. Il semble que Poutine considère que le chaos mondial est nécessaire pour accélérer l’effondrement de l’ordre « américano-OTAN » et favoriser le redressement de l’empire russe.
L’Inde : un futur géant proche de la Russie
L’Inde est le seul pays qui peut correspondre à la taille et à la démographie de la Chine. C’est aussi la troisième plus grande économie en parité de pouvoir d’achat. Même si les États-Unis n’ont cessé de se rapprocher de l’Inde ces dernières années, notamment avec l’approfondissement du commerce militaire, le pays n’a cependant pas été acquis aux Américains. Certaines élites indiennes se souviennent avec amertume que les Américains ont activement soutenu le Pakistan pendant la guerre froide et ont mis du temps à se positionner en faveur de l’utilisation de l’arme nucléaire par l’Inde alors même que le Pakistan les soutenait grâce à la Chine.
L’Inde reste très proche de la Russie de Poutine. Lors du vote d’une résolution condamnant la Russie à annexer des régions ukrainiennes, 5 pays ont voté contre et près de 35 se sont abstenus. Outre la Chine, un autre pays s’est abstenu : l’Inde. En effet, le pays a des liens historiques avec la Russie puisque les Soviétiques étaient les garants de la sécurité de l’Inde pendant la guerre froide, face à l’adversaire chinois. De plus, l’armée indienne utilise encore beaucoup d’armes russes.
La Chine : guerre technologique et économique
Ces dernières années, nous avons assisté à l’émergence de tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump, qui a imposé des droits de douane et renforcé les contrôles sur les investissements, a scellé le changement de politique étrangère américaine. Désormais, les États-Unis ont dû se détourner partiellement de la Russie pour se concentrer sur la véritable menace à son apogée : la Chine.
La position de plus en plus belliqueuse envers Taïwan a poussé l’administration Joe Biden à élever la voix et à prendre des mesures extraordinaires, telles que le contrôle des exportations de semi-conducteurs. Des entreprises comme Apple, qui produisaient une part importante de leurs technologies en Chine, ont déjà commencé à s’intéresser à d’autres pays comme l’Inde ou le Vietnam.
Mais si l’élite américaine (démocrates et républicains) est désormais convaincue du danger chinois, ce sentiment est également partagé par l’autre camp. Après avoir accepté de s’ouvrir au commerce international dans un souci de développement, le Parti communiste chinois semble vouloir revenir à une politique protectionniste, centrée sur la demande intérieure.
La politique zéro covid de Xi Jinping et son virage autoritaire depuis 10 ans va aussi dans ce sens. D’ailleurs, lors du 20e Congrès du PCC, Xi Jinping a clairement annoncé la couleur : l’ère de réforme et d’ouverture entamée sous Deng Xiaoping était révolue. C’est un tournant dans la politique chinoise : de la croissance (« s’enrichir » sous Deng) vers la sécurité. Comme dans tous les régimes fascistes, le but est toujours l’autarcie économique et la recherche de l’autosuffisance.
Vers une 2e guerre froide ou une 3e guerre mondiale
Bref, l’ordre international n’a jamais été aussi fragile depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque l’hégémon chargé de promouvoir le libre-échange et les droits de l’homme est défié, cela réveille les rêves impérialistes du passé. La multiplicité ne concerne pas seulement le domaine militaire. Cela conduira probablement à la formation de systèmes financiers parallèles pour concurrencer le dollar/SWIFT.
Les sanctions contre la Russie changent la donne
Les sanctions financières imposées par les États-Unis, l’Europe et le Japon suite à l’invasion de l’Ukraine par l’armée de Poutine sont historiques. Jamais auparavant une si grande économie n’avait été soumise à des sanctions aussi sévères. En effet, le gel des avoirs financiers russes a touché près de 300 milliards de dollars d’actifs, soit 50 % des réserves internationales du pays. Les effets d’entraînement d’une telle politique ont conduit à remettre en question le caractère « refuge » des monnaies fiduciaires.
Alors que nous sommes dans une 2ème guerre froide (voire au début d’une 3ème guerre mondiale), il est raisonnable de penser que les sanctions financières vont se multiplier dans les années à venir. Logique. Dans une économie de guerre, tous les moyens sont bons pour affaiblir et neutraliser votre adversaire.
De plus en plus de sanctions
Ces dernières années, avec l’essor du numérique, qui permet de geler immédiatement les services bancaires et de fortement centraliser l’architecture financière internationale, centrée sur le dollar et le système SWIFT, on a vu les sanctions se multiplier. D’abord dans le cadre de la lutte contre le terrorisme après le 11 septembre, puis au sujet du nucléaire iranien et enfin de la guerre économique avec la Chine.
Or, la multiplication de ces sanctions financières pourrait entraîner un changement majeur dans la composition des réserves de la banque centrale et inciter les concurrents occidentaux à adopter le bitcoin.
Aux États-Unis, les sanctions peuvent résulter d’une décision présidentielle ou législative. Demain, Joe Biden pourrait émettre un décret pour sanctionner un pays qui menace les intérêts de la Nation. À partir de là, l’OFAC (la même organisation qui a déclaré la guerre à Tornado Cash cet été) pourrait imposer des sanctions. Tous les ressortissants américains devraient alors se conformer aux sanctions de l’OFAC, y compris les sociétés américaines et leurs filiales étrangères. En principe, si un Américain identifie un bien ou un bien appartenant à une entité sanctionnée par l’OFAC, il lui est interdit de transférer ce bien.
Actuellement, l’OFAC sanctionne près de 8 755 entités, soit près de 4 fois plus que l’Union européenne et près de 8 fois plus que les Nations unies. En effet, les États-Unis disposent d’une capacité suffisamment importante pour punir une économie étrangère. À ce jour, la majorité des sanctions concernent des atteintes aux droits de l’homme et à la protection de la démocratie.
Les sanctions financières peuvent détruire une économie. La Russie en sait quelque chose. Si les faibles sanctions de 2014 ont entraîné une perte de revenus pour le pays, celles de 2022 ruinent le pays. D’autres pays sont victimes des sanctions du bazooka : l’Iran, la Syrie, le Venezuela, l’Afghanistan ou encore la Corée du Nord.
Dans la logique d’une guerre froide et de l’intensification des tensions géopolitiques, aucune banque centrale d’une dictature concurrente aux États-Unis ne peut être sûre qu’elle ne subira pas tôt ou tard des sanctions. Ils sont donc incités à protéger leurs avoirs du couperet américain. D’autant plus que les sanctions peuvent durer très longtemps. Par exemple, certaines sanctions contre l’Iran sont en place depuis 1979.
L’or, un actif archaïque pour se protéger des sanctions ?
Même aujourd’hui, l’or est le principal actif de réserve en dehors du fiat. Les réserves d’or de la banque centrale sont exemptes de sanctions et ne sont généralement pas sujettes à confiscation. Par exemple, le Venezuela a pu éviter les sanctions américaines en profitant des avions russes pour vendre son or en Afrique.
Preuve que la peur des sanctions est un vrai problème pour certains pays, la part de l’or dans les réserves des banques centrales n’a cessé de croître depuis 2008, avec un niveau record depuis plus de 20 ans (15%). Nous notons également que les pays qui importent du matériel militaire des pays rivaux des États-Unis sont souvent exposés à un plus grand risque de sanctions et ont tendance à accumuler plus d’or. D’autant que sous l’administration Trump, plusieurs lois ont été votées pour renforcer les sanctions contre les pays qui importent du matériel militaire de Chine ou de Russie.
Cependant, si l’or permet d’échapper au système de sanctions américain, il n’en demeure pas moins que ses coûts de transport et ses besoins de sécurité ne sont pas adaptés à l’ère numérique. Dans ce contexte, on peut légitimement penser que le bitcoin, un actif plus liquide, pourrait intéresser particulièrement les pays qui ont des désaccords politiques ou économiques avec des émetteurs de réserves fiduciaires comme l’Europe ou les États-Unis. Plus une banque centrale est averse au risque de sanctions, plus elle peut tendre à se couvrir contre ce risque en convertissant ses bons du Trésor en or et en BTC.
Bitcoin : résistance à la censure et aux sanctions
Pour la première fois, le bitcoin n’est pas à l’abri de l’inflation : son prix baisse lorsque l’activité ralentit et que l’inflation s’aggrave. Sa valeur vient principalement d’une chose : sa résistance exceptionnelle à la censure.
Dans les années à venir, certains États pourraient décider d’acquérir BTC pour contrer la censure résultant du système de sanctions financières occidentales. Bitcoin pourrait devenir une valeur refuge contre les risques géopolitiques mondiaux. De plus, son prix s’est soudainement apprécié immédiatement après les sanctions du Trésor américain contre la Banque centrale russe.
De plus en plus d’États parias subiront des sanctions financières et ces derniers voudront peut-être sécuriser certains de leurs actifs en convertissant leurs dollars en BTC. Bien sûr, ils souffriront d’instabilité, mais ils auront la garantie que personne ne pourra confisquer leurs avoirs. Si deux blocs puissants ont été clairement définis lors de la première guerre froide, la seconde guerre froide dans laquelle nous sommes entrés en février 2022 n’est pas bicéphale. Aucune monnaie fiduciaire n’est suffisamment attrayante pour être une alternative au système fiduciaire occidental (euro/dollar/livre).
Tout ce qui reste à ces États est le BTC, qui n’est pas réglementé.
Ni stablecoins, ni Ethereum contre les sanctions
Notez que seul le bitcoin peut jouer ce rôle.
Des émetteurs tels que Tether, Paxos ou Circle peuvent limiter la circulation de leurs stablecoins. Il serait relativement simple pour ces acteurs de geler certaines adresses, car le smart contract le permet. Les stablecoins algorithmiques ont une construction encore trop incertaine pour engager les banques centrales.
Il n’existe donc actuellement aucun stablecoin résistant aux sanctions, adossé à une garantie suffisante pour éviter le risque de perdre son ancrage et suffisamment liquide pour permettre les transactions de la banque centrale.
Salvador, Centrafrique, Iran : des précurseurs ?
Les pays ont déjà commencé à adopter le bitcoin. En 2018, l’Iran a délivré des licences aux mineurs qui ont dû vendre leur BTC à la banque centrale pour éviter les sanctions. Le gouvernement d’El Salvador a également commencé à acquérir des bitcoins en septembre 2021. À ce jour, le gouvernement de Nayib Bukele détient plus de 2 400 BTC.
Après El Salvador, la République centrafricaine a adopté le BTC comme monnaie légale, aux côtés du franc CFA. Ces choix ne sont pas anodins. Le Salvador, comme la République centrafricaine, sont des États très proches de la Russie de Poutine et très méfiants vis-à-vis de Washington.
Les banques centrales pourraient également préférer ne pas divulguer tous leurs actifs et commencer à thésauriser le BTC en secret (également pour éviter l’indignation du public en cas de baisse des prix).
Un nouvel indicateur à suivre : le risque géopolitique
Comme nous venons de le voir, le bitcoin pourrait devenir un refuge contre le risque géopolitique compte tenu de l’état du monde et du système financier très centralisé. Il peut donc être pertinent d’intégrer l’indice GPR dans la boîte à outils des investisseurs.
Cet indicateur construit il y a quelques années permet d’appréhender les conséquences des conflits et tensions internationales sur les bénéfices de la BTC. Sa construction est basée sur le nombre d’articles liés au risque géopolitique publiés dans chaque journal, chaque mois.
Si la thèse est correcte et si les banques centrales commencent à acquérir du bitcoin pour se protéger des sanctions, alors à mesure que les risques géopolitiques augmentent, le prix du BTC pourrait avoir tendance à s’apprécier.
Tant que la majorité de la puissance de calcul sera contrôlée par des nœuds honnêtes, la chaîne PoW de Bitcoin continuera à permettre à tout individu ou État de transférer de la valeur sans tiers de confiance. Cette résistance à la censure pourrait attirer de nombreux États américains rivaux dans l’ère multipolaire dans laquelle nous entrons.
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