Ministre ou partisans du candidat d’Emmanuel Macron à la présidentielle, faut-il voter ? Les frontières semblent très poreuses sur les réseaux sociaux. Gabriel Attal, Amélie de Montchalin, Olivier Véran, Jean-Michel Blanquer, Marlène Schiappa… Depuis quelques jours, tous les membres de ce gouvernement tweetent depuis leurs comptes habituels pour promouvoir le meeting d’Emmanuel Macron à La Défense Arena le 2 avril.
Les partisans de Valérie Pécresse sont aussi bouleversés par une vidéo postée par la Délégation du ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, sur son compte TikTok, dans laquelle il se moque du candidat LR à la présidentielle. « En bonne place dans le concours d’aujourd’hui des ministres qui utilisent illégalement leurs moyens de service pendant la période de réserve », a critiqué Alexandra Dublanche, coordinatrice de la cellule « réponse » de la campagne.
Un « mélange des genres » dénoncé sur Twitter par Valérie Boyer et par des internautes dont les ministres se disent « au-dessus des lois ». Le sénateur Les Républicains des Bouches-du-Rhône y a vu une atteinte aux circulaires du secrétariat général du gouvernement relatives aux réserves ministérielles et aux communications gouvernementales. Dan a appelé, dans un autre tweet, la Commission nationale de contrôle des campagnes électorales « à agir ».
Quel texte a encadré le discours du ministre ? « Rien n’est dit dans le Code électoral sur les cas des ministres et encore moins sur la possibilité d’utiliser certains outils de propagande et les réseaux sociaux », explique à 20 Minutes Bruno Daugeron, professeur de droit public à l’université Paris-Cité. La circulaire évoquée par Valérie Boyer est conforme aux notes du Secrétariat général du gouvernement (SGG) qui rappelle la règle du délai de réserve, en date du 10 février. C’est ce qu’a révélé Public Actors, un média spécialisé dans les politiques publiques.
Cette note vise à éviter que le gouvernement ne soit accusé d’utiliser les ressources de l’État dans les campagnes électorales. Car « l’épée de Damoclès » plane sur ces pratiques : les chapitres L52-8 du Code électoral, rappelle Bruno Daugeron. Il « interdit les dons, sous quelque forme que ce soit, de personnes morales. L’État ou les particuliers ne peuvent pas financer de campagnes. Le risque est que « si des moyens publics sont utilisés, cela sera considéré comme un avantage sous la forme d’une personne morale interdite, et cela entraînera des comptes de campagne invalides ».
« Pas d’ambiguïté sur son caractère personnel et privé »

Une partie de cette circulaire porte sur la présence des membres du gouvernement sur les réseaux sociaux. Une distinction est faite entre les comptes Twitter officiels et les comptes personnels. Le secrétariat général du gouvernement rappelle clairement que le compte Twitter officiel d’un ministre ne doit pas contenir de messages « qui constituent une implication dans une campagne électorale ». Si un récit personnel, « aucune confusion » ne doit être maintenu avec les activités du ministère, le récit doit être présenté de telle manière qu' »il n’y ait pas d’ambiguïté sur son caractère personnel et personnel, distinct du récit officiel ».
Bruno Daugeron rappelle que peu d’usages des comptes Twitter sont discutables d’un point de vue juridique, car « Twitter est un réseau privé ». Le recours éventuel à des moyens publics pour utiliser ces comptes en période électorale problématique, par exemple en demandant à des collaborateurs rémunérés par l’Etat de fournir les comptes, « introduit [ainsi] des ingérences dans les communications officielles de la puissance publique et celle des candidats ».
Distinguer les comptes

C’est ce qu’a confirmé la Commission nationale de contrôle des campagnes électorales (CNCCEP) sur la base de l’article L52-1 du Code électoral. Dans une déclaration du 28 février, il a souligné que, sur les réseaux sociaux, les comptes des candidats ou de leurs partisans ne devaient pas être « utilisés d’une manière qui confond l’exercice des fonctions officielles avec la propagande liée aux campagnes électorales ». Dès lors, les ministres et les élus devraient, dans le cadre de la campagne, fermer leurs comptes qui ont été utilisés pendant « longtemps » et « principalement pour véhiculer des messages relatifs à l’exercice de fonctions publiques ». Pour éviter toute confusion, la commission recommande de créer un compte séparé, dédié à la campagne.
Dès lors, l’appel des ministres à participer au meeting d’Emmanuel Macron ce samedi semble aller à contre-courant de ce cadre fixé par un simple communiqué. Contacté pendant 20 minutes, le KPPU se tait et ne veut pas confirmer la violation des règles, même s’il a été préalablement lâché par la presse. Cela montre simplement qu’il est « très demandé » pour cette utilisation.
Emmanuel Macron rappelé à l’ordre

Cependant, il existe un précédent. Le 7 mars, la CNCCEP a convoqué le candidat Emmanuel Macron pour passer commande. Le chef de l’Etat a été « invité » à ne pas utiliser son compte officiel (8 millions d’abonnés) pour faire passer des messages sur la campagne, comme sa lettre à la France. Il a été contraint de supprimer ce tweet. Son camp a par la suite dénoncé des règles injustes : certains rivaux, comme la candidate LR Valérie Pécresse (450 000 followers sur Twitter), également présidente de la région Ile-de-France, ou la socialiste Anne Hidalgo, maire de Paris (1,5 million d’abonnés), continuent de utiliser des comptes ordinaires.
Un cas illustre bien la démarcation fine et parfois difficile entre campagne et action ministérielle, rappelle Bruno Daugeron. Amélie de Montchalin, ministre de la Fonction publique, et Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des Comptes publics, ont tenu une conférence de presse sur le recours aux cabinets de conseil, suite à la polémique McKinsey. « Nous sommes dans une zone grise, car il n’est absolument pas légal pour Amélie de Montchalin de prendre la parole pour expliquer comment fonctionne cette reprise dans l’Etat. Le problème, c’est que dans sa conférence de presse, il fait allusion à la campagne électorale et sa position à cet égard n’est pas neutre. »
Si des conflits naissent de la tenue de cette conférence de presse, « il appartient au Conseil constitutionnel, qui est le juge des élections, de voir, d’apprécier quel type de conférence de presse ce type de conférence de presse peut avoir sur le déroulement du scrutin », a conclu Bruno Daugeron.